Avec le renforcement des contrôles lié au covid19, le trafic de drogue est lui aussi impacté. Moins de mouvements, c'est davantage de difficultés pour vendre ou s'approvisionner. Mais seulement en théorie : dealers et consommateurs ont trouvé la parade.

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C'était en novembre 2019. Sept personnes étaient jugées au tribunal de Nancy pour trafic de stupéfiants. Des jeunes, la vingtaine. Une affaire de trafic d’héroïne et de cocaïne à l’intérieur de la tour Volga, à Jarville (Meurth-et-Moselle), dans la banlieue nancéienne. Le lieu s'était transformé en supermarché de la drogue, ouvert 7 jours sur 7, de 10 h à 20 h. Pour les clients, il suffisait de passer commande par téléphone auprès de standardistes, puis de venir sur place pour acheter leurs doses. Une affaire de plus liée au trafic de stupéfiants, une affaire presque banale mais très instructive sur le plan économique: ce business réalisait un chiffre d’affaires de 75.000 à 90.000 euros par mois.

Un commerçant à qui on interdit de faire le marché peut faire de la livraison. Pour le trafiquant de drogue, c'est pareil
- Un policier de terrain

Aujourd'hui, le trafic n'a pas complètement disparu à Jarville comme dans de nombreuses villes de Lorraine. “C'est le propre dans ce business, une affaire chasse l'autre” explique ce policier qui souhaite garder l'anonymat. Sauf que la situation est inédite, y compris pour les trafiquants de drogues : confinement oblige, les déplacements sont limités et plomberaient les affaires.

Mais seulement sur le papier. La belle théorie est synonyme de raccourci. “C'est évident, avec moins de monde dans les rues et en voiture, on sent moins le trafic, poursuit ce policier de terrain, mais un commerçant à qui on interdit de faire le marché peut faire de la livraison. Pour le trafiquant de drogue, c'est pareil. Les lieux de distribution bougent, ils sont moins collectifs mais individuels. Une personne qui va faire ses courses réelles peut en profiter, à l'aller ou au retour, pour donner rendez-vous à un fournisseur et avoir sa came. Il suffit d'être ponctuel. Et il y a beau avoir des contrôles par les forces de l'ordre, ils se limitent à vérifier l'attestation de déplacement, éventuellement l'identité et les papiers du véhicule. On peut aussi contrôler le coffre de visu mais en ce moment, on ne va pas s'amuser à démonter le véhicule. Je rappelle qu'on doit se préserver une marge de sécurité sanitaire... La priorité, c'est le respect du confinement, pas la lutte contre le trafic de drogue.

En Italie, de nombreux observateurs rapportent que le trafic a pris place là où les gens ont encore la possibilité de sortir. Terminé les parcs et les places publiques. Rendez-vous désormais dans les files d'attente des supermarchés et devant les pharmacies.


L'ubérisation du système

La tendance en vogue, c'est l'accélération de la livraison à domicile. Sur les réseaux sociaux, les annonces fleurissent pour vanter ce type de services. Sur la messagerie Telegram, on peut même trouver très facilement des weed drive (Traduisez “Le drive de l'herbe”), apparemment basé à Paris mais qui garantit la livraison dans des villes comme Nancy ou Metz, quasiment dans l'heure.

Ce type de prestation commerciale repose sur une structure et des correspondants-livreurs connectés sur leur téléphone en région: une forme d'ubérisation du trafic de stupéfiants. Avec ses codes verbaux: "vert" (herbe) ou "marron" (résine de cannabis)... Les “dirigeants” souhaitent rester discrets et se révèlent terriblement efficaces: le management d'abord. Ne pas parler, ne pas se montrer, ne pas se vanter. Mais “bosser”, c'est un peu leur devise. Pas de grosses quantités, mais de nombreuses transactions, facilitées par l'existence du bitcoin, et le chiffre d'affaires est là. “Un gars qui se balade sur son scooter ou sa moto en disant qu'il va voir papy ou mamy pour leur amener des courses, qu'est-ce qu'on peut faire? constate cet autre policier avant d'ajouter : on ne peut pas contrôler tous les véhicules. Chez nous, il y a un roulement mais aussi beaucoup de malades. On travaille à flux tendu. On a diminué nos effectifs. Je vous laisse imaginer la situation.

Il y a beau avoir un confinement et des contrôles, cette situation n'est absolument pas propice à la diminution du trafic de drogue
- Thierry Dreyer, chef de la sureté départementale à Nancy

Moins de trafic sur la voie publique, le développement de la livraison à domicile... Une situation qui laisse apparaître de nombreuses failles, et dont on est conscient en haut lieu. Et on ne se cache pas derrière son petit doigt. “Il y a beau avoir un confinement et des contrôles, cette situation n'est absolument pas propice à la diminution du trafic de drogue” explique le commissaire Thierry Dreyer, chef de la sûreté départementale à Nancy. “Au motif d'aller faire ses courses ou à la pharmacie, tout toxico peut aller se fournir à un point de rendez-vous. Ça nous permet néanmoins d'intensifier les contrôles car on n'a pas besoin de constater une infraction ou un délit. On peut être plus pressant sur les consommateurs mais pas sur l'offre! Il faut ouvrir les yeux. A Nancy par exemple, il y a des familles et des quartiers qui vivent exclusivement du trafic. Ils ne vont pas s'arrêter de vendre même en période de coronavirus. Ils s'arrangent pour avoir le moins d'impact sur leur activité... Ils défendent leur business. Certes, ça se fait moins sur la voie publique, c'est plus feutré, mais ça continue ailleurs, dans les immeubles, les appartements... Et plutôt sur des produits dérivés du cannabis. Notre combat, c'est de lutter contre les réseaux d'approvisionnement pour éviter que ça n'arrive sur les points de vente.

Et les vendeurs n'ont peur de rien. Dans son édition du 19 mars 2020, Le Parisien rapporte une histoire rocambolesque qui s'est déroulée à Melun dans le département de Seine-et-Marne. “En plein confinement, des dealers font la pub de leur cannabis rapporte le quotidien, des hommes en blouse blanche et masques ont fait circuler sur le réseau social Snapchat une vidéo pour faire la promotion de leurs produits stupéfiants.” 
Nos petits vendeurs locaux sont également sur les réseaux sociaux, rappelle Thierry Dreyer, ils pratiquent aussi le marketing. Ils relancent les acheteurs par SMS afin de savoir s'ils ont des difficultés d'approvisionnement, s'ils ne sont pas satisfaits de la livraison, s'ils pratiquent des remises commerciales... L'argent doit rentrer. Ils se battent, ils s'adaptent.


Drogue et spéculations

L'heure n'est cependant pas aux remises commerciales. “Au niveau national, il risque d'y avoir des problèmes d'approvisionnement avec les multiplication des contrôles sur les grand axes, explique le commissaire Dreyer. La conséquence pourrait être une raréfaction du produit et du coup, une augmentation des prix.
Dans un article publié le 23 mars 2020 dans La Repubblica, l'écrivain et journaliste italien Roberto Saviano, grand spécialiste des mafias et auteur de Gomorra, rapporte qu' “à New York, la marijuana gérée par les trafiquants de drogue a connu une augmentation exponentielle de la distribution dans les heures où les mesures de fermeture ont été annoncées. Les pousseurs ont alors rempli leurs entrepôts, prêts à la remettre sur le marché lorsque les prix ont monté en flèche.

Le danger, c'est celui de la surconsommation et de l'overdose
- Lionel Diény, directeur technique au CSAPA (Metz)

Une analyse qui s'applique à Nancy selon ce policier de terrain : “Il y a eu de grosses transactions et notamment des stocks de cannabis qui ont été été constitués en prévision du confinement.” Une règle d'économie basique : ce qui est rare... devient cher et même dangereux. “Certains usagers achètent davantage de produits que d'habitude” explique Lionel Diény, directeur technique au CSAPA (Centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie) de Metz, un centre de soins en addictologie. “Le danger, c'est celui de la surconsommation et de l'overdose. Le problème, c'est d'arriver à gérer ces quantités de drogues. On peut être beaucoup plus tenté car le confinement peut se révéler angoissant.

Il est encore trop tôt pour évaluer les situations, mais au CSAPA de Metz, un dispositif est mis en place pour recueillir un maximum de témoignages afin d'évaluer la situation. Et apparemment, il y a déjà une fracture géographique qui se dessine. “Les comportements se modifient du côté des usagers mais aussi des vendeurs”, rapporte Lionel Dieny, “On voit déjà arriver dans nos structures des gens qui demandent des traitements de substitution car ils n'arrivent plus à s'approvisionner. Nos équipes, qui n'ont pas stoppé leurs activités, tout en respectant les consignes sanitaires liées au covid19, répondent aux besoins les plus urgents. L'objectif, c'est que ces personnes en manque et en grande difficulté ne viennent pas embouteiller les services d'urgence en ce moment.


Drogue et explosion sociale

L'enjeu, c'est aussi d'éviter tout risque d'explosion sociale en banlieue comme le relate Le Canard Enchaîné du 25 mars 2020 et qui rapporte le compte-rendu d'une visioconférence au ministère de l'intérieur avec le secrétaire d'Etat, Laurent Nunez: “Ce n'est pas une priorité que de faire respecter dans les quartiers les fermetures de commerces et de faire cesser les rassemblements”. “Soucieux que l'activité économique continue en cette période de confinement, poursuit le Canard, les autorités peuvent être rassurées: le trafic de drogue se poursuit.”

Une situation dont ont parfaitement conscience de nombreux maires en Lorraine. Pour cet élu de banlieue qui préfère garder l'anonymat: “Rien n'a changé concernant le trafic de drogue, malgré le confinement. C'était compliqué hier, ça l'est toujours autant aujourd'hui. C'est lié à la vie de ces quartiers. C'est presqu'une aubaine ce confinement pour ce business et je ne vois pas par quel miracle on pourrait faire rentrer les dealers chez eux!

Dans l'agglomération nancéienne, considérée comme une des places stratégique du trafic de stupéfiants en Europe, le constat est tout aussi terrible. Récemment réélu au premier tour des municipales à Vandoeuvre, Stéphane Hablot avoue “n'avoir que les moyens d'alerter mais pas de réagir”.

Dans la commune de Maxéville, près de Nancy, qui compte 60% de logements sociaux et qui est considérée comme une des 100 villes les plus pauvres de France, son maire, Christophe Choserot est tout aussi désespéré concernant la situation: “Les services de l'Etat tournent au ralenti et on a des gens livrés à eux-mêmes, c'est une vraie inquiétude. De nombreuses associations ne sont plus sur le terrain. La drogue, c'est un problème de santé publique qu'on avait peut-être trop vite rangé sous le tapis. Ça va peut-être nous exploser en pleine figure. Et dans certains quartiers, il n'y a pas que la drogue qui risque de faire surgir les problèmes. Je n'oublie pas les gens qui sont dans la difficulté et dans la misère sociale.. Tous ceux qui sont entassés entre quatre murs. Avec les services de la mairie, on essaye d'avoir un contact téléphonique régulier mais ce n'est pas suffisant. On est de moins en moins sur le terrain. Je n'ai par exemple plus de police municipale, elle est confinée en raison d'un cas suspecté de coronavirus.

A Jarville, Jean-Pierre Hurpeau, le maire sortant avait décidé de raccrocher. L'épidémie de coronavirus l'en a empêché. Il a rempilé jusqu'à nouvel ordre. La tour Volga est toujours là et sa ville est toujours confrontée au trafic de drogue. “Evidemment, on reste très attentif” avoue le maire, âgé de 76 ans, “ces jours derniers, on a noté la présence de personnes le soir sur le quartier de la Californie qui en plus faisaient des rodéos. Les gens qui n'ont pas leur dose sont sous pression mais pour l'instant, pas de problème à signaler... Mon rôle de maire reste limité mais il faut rester attentif. Je suis en lien avec la police nationale pour faire part des difficultés rencontrées.

Des difficultés que pourraient aussi rencontrer, malgré tout, certains trafiquants, gênés par les contrôles. Pour cela, “ils enverront un signe, explique ce policier, il y a sans doute une voiture ou deux qui flamberont...
 
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